Le Lac noir
 

Dans la forêt, sous la saisissante falaise du Granier, se cache un petit lac, appelé Lac noir.
Depuis ses rives, s'élancent des bouleaux et des sapins. Il doit son nom à leurs reflets qui assombrissent la surface de ses eaux. De cet endroit, se dégage une atmosphère sereine et mystérieuse. Sereine : la nature préservée offre un paysage emprunt de beauté et de quiétude. Un lieu que l’on quitte souvent à regrets (Octobre 2008). Mystérieuse : si l’on se laisse aller aux songes, il devient facile d’imaginer que des elfes, des lutins, des farfadets et pourquoi pas des fées ont vécu et peut être vivent encore en ce lieu. Une règle d’or à respecter si vous veniez à rencontrer des Elfes : leur témoigner une grande courtoisie : elles sont très susceptibles et décliner leur invitation à manger et à danser afin de ne pas encourir le risque de perdre tout contrôle de soi…
 
 
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En 1904, dans sa nouvelle Le lac noir et le sorcier de Myans, Henry Bordeaux (1870-1963), auteur savoyard, propose un regard plus sombre de ce lieu mais foisonnant de détails.  Aujourd’hui, le lac n’est plus aussi rond qu’il lui semblait. Les roseaux décrits par Bordeaux sont toujours présents. Les tanches également ainsi que des grenouilles sans oublier les libellules que l'auteur n'avait pu observer. Le Lac n’est pas aussi profond qu’il le pensait et la vue sur les montagnes environnantes : le Nivolet, le Magériaz, la Galope n’est plus permise. La nature a œuvré. Les arbres de la forêt de Chapareillan se sont propagés, ont poussé et ont façonné l’endroit de telle sorte que du Lac noir, la seule vision lointaine possible, est celle de la falaise Nord du Granier, comme un lien indéfectible. Persiste la même émotion que celle ressentie par Henry Bordeaux : « Une solitude capable d’émouvoir ».

"Excités par ces paysages romantiques, nous partons pour le lac Noir, qui est pour ainsi dire encastré dans le flanc du mont Granier. Après les hameaux de Pierregrosse et de Lâchât, nous nous engageons dans un chemin pierreux qui grimpe à travers des monticules sans nombre, dômes de gazon où se fixèrent dans toutes les postures des quartiers de rocs. De plus en plus le paysage que nous découvrons devient sauvage et singulier. Seuls, de misérables arpents de vigne à demi desséchés attestent de l’industrie des hommes. Nous avançons vers le col du Frêne qui, s'appuyant d'un côté à la muraille du Granier, décrit une grande courbe allongée et régulière. Nous cherchons le lac invisible dans les accidents de terrain que sans cesse nous oppose cette nature tourmentée. Il n'y a plus ni chemins ni cultures. Nous foulons, maintenant, tantôt un champ de cailloux, et tantôt une herbe maigre qu'envahissent les ronces et que broute un petit troupeau de chèvres et de moutons conduits par un marmot apparemment sourd-muet. Nous commencions à nous inquiéter de la direction quand nous atteignons brusquement notre but après une montée un peu plus rapide.
Les roseaux de ses rives dissimulent presque le lac Noir. Nous le contournons et d'un rocher qui le domine nous le distinguons mieux, profond comme un puits et rond comme un oeil. De là notre vue s'étend au loin, par-dessus le dernier pli de sol qui protège la mare sacrée de Laniel et paraît s'avancer comme un haut promontoire sur la vallée. Au fond de cette vallée coule l'Isère, semblable, dans son cours droit que le soleil inonde, à quelque route blanche sans contours. En face de nous les montagnes s'accumulent, chevauchent les unes sur les autres : c'est le Nivolet d'une structure carrée, Margéria qui, plus élevé, reproduit sa figure. Galope en forme de cône, et la Roche-du-Guet, et les grandes Alpes dont la neige resplendit.
Le lac Noir fut de tout temps un lieu de sortilèges.

Nous nous approchons de la rive que garnissent de chétifs buissons. Un églantier a fleuri tout au bord et son reflet dans l'eau sombre fait une frêle tache de lumière. Par intervalles, le jeu d'une tanche qui vient respirer à la surface produit un cercle qui s'élargit et de sa courbe tremblante anime un instant ce lac mort. Le troupeau qui paissait a disparu. La solitude nous entoure, et une solitude capable d'émouvoir. A nos pieds, au loin, le val sourit, mais ce coin de paysage désert est amer aux yeux comme une boisson trop forte l'est aux lèvres."  

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Extrait de :  Le Lac noir et le sorcier de Myans.
Avec une préface inédite de Émile Faguet. Henry Bordeaux, 1904.
Pages 164 et 165. (Livre téléchargeable depuis le site www.archive.org) 
 
La présence de cette étendue d'eau est l'une des conséquences de l'éboulement du Granier. La masse de rochers détachée de la montagne ne tarda pas à obstruer les ruisseaux alentours. L'eau s'enfonça dans le sol et ressurgit des années plus tard sous la forme de lac, d'étang, de gouille.